dimanche 28 février 2010

Dans les fjords chiliens




Rédigé le 27 mars 2010


18h30 en ce 18 février, deux gigots et deux épaules d’agneau suspendus à l’arrière du bateau, nous voilà repartis de Puerto Williams, ravitaillés en vivres, en eau et en carburant pour passer une semaine dans le canal de Beagle.










Nous mouillons deux heures plus tard dans une petite crique à Barshem Gut, mais le temps se dégrade, et lorsque nous confirmons notre position pour la nuit, la marine chilienne nous oblige à repartir jusqu’au port de Navarino.

Allez comprendre pourquoi alors que nous sommes prêts à passer à l’apéro !



Les autorités maritimes chiliennes sont pointilleuses en cette nouvelle saison explique Thierry, notre capitaine. La faute à l’arrivée prochaine d’un nouveau commandant en charge de l’armée chilienne pour le cap Horn et le canal de Beagle, qu’anticipent les subordonnés actuels par une application stricte du règlement. Celui-ci impose aux plaisanciers d’informer de leur position pour la nuit, et cela uniquement sur certains endroits autorisés par les cartes de navigation.

Et puis c’est bien connu, un bon militaire applique les ordres. Pas de dérogation possible à moins d’avoir le bras long. Comme partout.

Du coup, pendant notre séjour dans le canal de Beagle et ses nombreux fjords remontant jusqu’à la cordillère de Darwin, nous jouerons un peu au chat et à la souris avec les militaires, par fréquence radio, annonçant une position autorisée pour la nuit, alors que nous mouillerons ailleurs, dans des endroits beaucoup plus tranquilles et plus en adéquation avec la notion de « faire de la voile », c'est-à-dire la possibilité d’aller par voie maritime là où d’autres navires ne peuvent pas aller.







Nous arrivons à Puerto Navarino vers 22h45, amarrés à une tonne, suite à une manœuvre délicate ce soir là, dans le noir, avec du vent et une mer agitée ; mais Julien, le second capitaine est impressionnant de rapidité et de précision dans ses manœuvres. Marin, c’est un métier, qui s’apprend en mer !




Ce petit port est une base militaire avec une baraque, au milieu de nulle part, mais stratégiquement positionnée à l’entrée du canal de Beagle et en face d’Ushuaia, la ville argentine. Et puis le canal de Beagle et tous ces territoires à l’Ouest d’Ushuaia appartiennent au Chili !





Notre trajet au cours de cette semaine sera essentiellement de contourner l’île Gordon par le nord et revenir par le sud, en s’accordant des escapades dans les fjords alentours, à la découverte d’endroits privilégiés.






Première étape, rejoindre Caleta Olla, place autorisée.
Après avoir longé quelques glaciers de la Cordillère de Darwin qui viennent baver jusque dans le canal, failli perdre la viande qui heureusement a terminé sa chute dans l’annexe (je me demande bien qui avait accroché la viande ?), nous arrivons à notre mouillage pour la nuit.










Caleta Olla.















Programme du soir, apéro et barbecue sur la plage. Moments privilégiés dans un endroit unique. Dans la nuit, lorsque que nous pagayons pour retourner sur « L’esprit d’Equipe », chaque coup de rame fait apparaitre à la surface de l’eau le plancton phosphorescent. Incroyable.










Au réveil, nous avons deux voisins, un sur l’eau, un plaisancier polonais qui est arrivé au petit matin, et un autre sur la plage, un renard qui vient finir les quelques restes d’agneau de la veille.




Avec l’annexe (zodiac), nous rejoignons une autre plage dans cette baie, et partons pour une petite balade à la découverte du glacier Hollande. Le sentier, qui n’en est pas un, est plein de tourbe et la paire de bottes est nécessaire.





Un couple de condors et un aigle viennent nous saluer, et se renseigner surement si l’un d’entres nous ne pourrait pas être une option de repas. Finalement non. Nous sommes un peu gros pour l’aigle et les condors sont des charognards.












Les castors sont aussi présents dans ce secteur, l’occasion de voir leurs constructions et leur demeure mais point de castors en vue.









En fin de journée, nous levons l’ancre, et la reposons cinq heures plus tard à Caleta Beaulieu, pour un barbecue de saucisses, à bord ce coup-ci.



Caleta Beaulieu.









Le lendemain, 21 février, fin de matinée, nouvelle excursion aux alentours, où se reflètent des paysages incroyables dans une mer d’huile, donnant des photos étranges une fois inversées, semant la confusion entre ciel et mer.














Vers 15 heures, nous arrivons en voilier au pied du glacier « Los fotografos », pour un déjeuner à bord, au milieu des glaces. Quelle tranquillité ici, seulement pertubée par le bruit du craquement de la glace qui travaille.




Los fotografos.







Une heure plus tard, nous repartons ventre plein, et en avant la musique de la glace sur la coque, pour nous arrêter quelques instants au pied du glacier « Guilcher ». Silences. Chacun savoure la quiétude ambiante et permanente des lieux, dans ces moments où on ressent un apaisement profond simplement en contemplant la beauté du spectacle naturel qui nous entoure. Aucune âme qui vive ici, seulement la nature qui œuvre, et que c’est beau !

















Guilcher.





Parfois certains blocs se détachent du glacier et dans un bruit sourd terminent leur chute à son pied, provoquant une vague qui fait s’entrechoquer les glaçons qui se promènent sur ce bassin d’huile.






Lors de ma seule prise de barre pendant la croisière, Julien, perché dans les haubans, me guidera à travers un champ de glaces, à me frayer un chemin, en évitant les gros blocs.




En soirée, nous arrivons sous la pluie et dans le vent, escortés par une colonie de dauphins, dans une petite crique nommée cinq étoiles, dans le canal « Tres brassos » de l’île Gordon. Avec Julien, j’effectue la manœuvre d’amarrage en quatre points situés sur les berges, deux à l’avant et deux à l’arrière. Celle-ci se réalise avec l’annexe, et quelle surprise et frustration à la fois d’effectuer cette manœuvre avec deux dauphins qui jouent autour de nous, à moins d’un mètre, sans pouvoir participer à ce spectacle, tellement monopolisés par l’amarrage, lorsqu’il faut agir vite, sans tergiverser… Ces mêmes dauphins nous réserveront une surprise le lendemain en accompagnant notre départ pendant plusieurs miles, s’entrecroisant de chaque côté du voilier, jouant les uns avec les autres dans une compétition naturelle à celui qui adoptera la meilleure attitude dans la prise de vagues. Grand moment.






Il fait parfois plus froid, le temps change vite en mer, d’autant plus avec ces montagnes et ces glaciers qui nous entourent. Et puis le cap Horn n’est pas loin…

Nous continuons à avancer, au sud de l’île Gordon, découvrons encore des glaciers, plus différents les uns que les autres, certains mélangeant le blanc transparent, le bleu de la glace pure, tels les icebergs. C’est toujours aussi surprenant, de la pointe Resguarcho jusqu’à Coloane, où nous serons une nouvelle fois amarrés aux quatre points, ancre en plus, car le temps est instable, et aucun d’entre nous ne souhaitent se réveiller au matin, le « cul » à terre.

A Coloane, nos amis suisses nous concoctent un vin chaud de chez eux, histoire que tout le monde se réchauffe un peu après des manœuvres souvent dans le froid et la pluie ces jours-ci.










La vie à bord est agréable, chacun y met du sien dans la vie de tous les jours. La promiscuité pouvant être pesante au fil des jours sur un voilier, mais là non, les gens sont intelligents dans leur approche et le respect de l’autre. Et puis, l’aventure touchera bientôt à sa fin. Je me mets régulièrement aux fourneaux, prends du plaisir à cuisiner, parfois dans des positions d’équilibriste lorsque nous naviguons. Comme ça, cela m’évite la corvée de vaisselle à l’eau froide ! Si ça bastonne de trop, Thierry et Julien restent aux commandes, et le reste de l’équipage déjeune dans le carré. Le soir, on est tous ensemble. On mange plutôt bien à bord, cuisine française avec les produits d’ici. On boit bien aussi, le soir. La vie de marin parait-il.




















Sur notre chemin, de la glace, toujours de la glace...











Le 23 février, nous entrons dans notre dernier fjord, « l’estero Fouquet », pour un site une fois de plus magnifique.








Nous partons tous en randonnée, dans les hauteurs, pour admirer la vue d’ensemble sur plusieurs glaciers et plusieurs lacs. Des couleurs exceptionnelles, le blanc de la neige et de la glace, le vert bleutée des lacs, le bleu sombre de la mer, les différents verts de la végétation.

Nous sommes bien en montagne, à fleur d’eau, entourés de glaciers.












Des avalanches de neige se déclenchent par moment, on entend aussi le craquement des glaciers un peu plus haut, un camp de castor est là-aussi.









Estero Fouquet.



Et puis on n’est pas beau avec nos bottes pour aller chez Fouquet’s.



Au petit matin, nous partons précipitamment, réveillés par des williwaws, sorte de bourrasques violentes qui descendent brusquement de la montagne, rendant instable notre amarrage, et pouvant nous faire chavirer.




Nous revoilà dans le canal Beagle, en route pour Puerto Navarino, avec 45 nœuds de vent arrière, à surfer sur les vagues et à vouloir traverser un arc-en-ciel. Ce qui est agréable avec un vent arrière de cette vitesse, c’est qu’on ne le ressent pas, ou peu… puisqu’on avance. Rien à voir avec un vent de face, dont l’effet est décuplé avec notre vitesse.







Nouveau mouillage pour la nuit à Puerto Navarino, en face d’Ushuaia, comme à l’aller, où peu de temps après notre arrivée, le port ferme pour causes d’intempéries. Espérons que nous puissions repartir le lendemain.






Finalement à 9h00, les autorités nous autorisent à repartir puisque nous prenons la direction de Puerto Williams ; l’entrée du canal, lui, restant fermé. Nous voilà à nouveau avec un vent arrière, moins fort que la veille, mais suffisant pour sortir le spi, qui porte l’année 1789, en référence à ses premières sorties pour le bicentenaire de la révolution.












Pour déjeuner, et amarrés au Mi Calvi, nous lançons notre dernier barbecue de boudins à bord.


Le soir à Puerto Williams, repas chez Pati, une chilienne dont la maison fait office de restaurant : king centolla (crabes) et cordero (agneau) au menu.

S’en suit une soirée au Mi Calvi, le pub le plus au sud du monde, où se retrouvent quelques locaux ainsi que tous les équipages des voiliers à quai. Beaucoup de monde ce jeudi soir-là, les voiliers doivent être rentrés à Ushuaia pour le week-end, afin d’effectuer le ravitaillement et repartir début de semaine suivante avec de nouveaux passagers.








Le vendredi 26, après avoir fait tamponner nos passeports pour sortir du Chili, nous filons sur Ushuaia, et la tempête annoncée plus tard sera finalement pour nous. Thierry tient bon la barre, beaucoup de vent, une mer qui clape, le voilier qui claque sur la mer en retombant dans un bruit de coup de burin.

Nous accostons quatre heures et demie plus tard, au port d’Ushuaia, qui n’est pas du tout abrité pour le coup, et avec la bosse de ris qui a lâché.

Nous conclurons cette croisière par un repas dans un restaurant sur les hauteurs d’Ushuaia, et en ce qui me concerne je passerai en plus le samedi et la soirée suivante avec Thierry et Julien.




Quel grand moment cette croisière sur « L’esprit d’équipe », un de mes meilleurs depuis que j’ai commencé mon voyage avec sans ordre de préférence, le nouvel an hors du commun à Rio de Janeiro et les chutes gargantuesques d’Iguaçu. Même si les autres endroits ont aussi du cachet, et que chaque site, chaque moment est différent, ces trois-là sont ceux qui m’ont donné le plus de sensations. Vivement les prochaines !

Dommage que ces croisières soient si chères et réservées à des privilégiés, dont je fais partie pour le coup. C’est surtout dommage pour les populations locales chiliennes et argentines de ne pouvoir accéder à ce type de tourisme, ou du moins visiter des sites extraordinairement beaux à côté de chez eux.

A moins d’avoir de la famille chilienne dans la marine, ou des revenus très élevés, cette croisière restera du rêve pour de nombreux locaux, alors que c’est pourtant si proche.

Il y a également le projet de construire un hôtel grand luxe à Caleta Olla. Mais s’il sort de terre, il restera un endroit accessible qu’à une poignée, et la nature sera impactée. L’homme est toujours le champion de la planète de la conquête de territoires !


Dans nos sociétés occidentales, le tourisme de masse reste accessible à la plupart (et encore, pas à tous), et le tourisme de la rareté à quelques privilégiés ou chanceux.


Le tourisme de prestige a un prix. Représente-t-il la garantie de la conservation des sites dans leur état naturel ? Qui contrôle vraiment le développement massif du tourisme de rêve ?

Faut-il le réguler par le prix, par tirage au sort, par période ou l’interdire totalement dans certains endroits ? Certains sites doivent-ils être accessibles uniquement dans un cadre scientifique, pédagogique, écologique, ou social ?

Faut-il partir du principe que des zones ne soient pas touristiques, au risque de devenir un jour accessible à tous, au détriment des écosystèmes ?

C’est à cet équilibre que nous devons penser dans le développement du tourisme actuel et futur, pour que chacun puisse visiter de beaux endroits de notre planète, puisse continuer de rêver à vivre un paysage, sans pour autant sur peupler les sites de masse, et sur développer les sites actuellement protégés.

Cela passe à mon sens par des formules d’éco-tourisme, à un prix compétitif ; que chaque site visité le soit comme lorsqu’il s’agit d’un parc national ; que les visiteurs soient sensibilisés, responsabilisés dans leur tourisme ; que la nature reste intacte après le passage de l’homme, et que les éventuelles constructions soit faite uniquement dans une adéquation urbanisme-environnement, plutôt que la recherche d’un profit immédiat.


C’est la nature qui créé. L’homme ne fait que l’utiliser pour créer à son tour.

La préserver est fondamentale.